Les microcosmes émotionnels de Chloé Ryo
Une interview de Chloé Ryo, par Mahé Brombart.
Mahé — Peux-tu nous parler de toi et de ton parcours ?
Chloé — Je suis musicienne depuis très longtemps. J’ai commencé la musique classique quand j’étais petite. Mon instrument primaire, c’est le trombone. Quand j’étais adolescente, j’ai commencé à étudier la musique électro-acoustique, qui est une forme de musique électronique qu’on trouve dans les conservatoires classiques. Il y a beaucoup de techniques différentes, très électroniques, avec des synthétiseurs ou des techniques de montage et de collage qui étaient à l’époque faites sur des bandes.
C’est vraiment une manipulation des sons qui exprime l’espace. À Bruxelles, il y a aussi une très grosse tradition : des acousmoniums. Ce sont des orchestres de haut-parleurs
J’ai ensuite commencé en France avec les techniques de montage et en continuant mes études de trombone, je me suis spécialisée dans la musique contemporaine et avant-gardiste.
J’ai commencé à jouer dans des ensembles classiques contemporains et cela m’a introduite à une culture plus germanique. J’ai donc décidé de poursuivre mes études en Autriche. J’y ai découvert tout le monde de la musique contemporaine instrumentale, notamment dans la ville de Graz où il y a aussi un gros institut de musique électronique.
Mahé — De quel type est ton intervention dans « Dance with your darkness » ?
Chloé — Le trombone est un instrument extrêmement simple, il n’y a pas de boutons, pas de mécanismes. Tout part vraiment de la force musculaire, c’est très corporel, alors que la musique électronique justement est très technique, assez froide. On n’a pas ce rapport au corps. J’ai combiné ces deux aspects d’une manière très complémentaire. C’est ce solo, qui combine les deux, qui va être utilisé pour le spectacle.
Ce sera une forme de transe qui va durer 30 minutes. Je pars d’un point A à un point B. Le but, c’est que le point culminant soit très intense, créant une explosion qui fait partie de l’histoire, une forme de fracture. Après cette fracture, on va activer ce que j’ai appelé les microcosmes émotionnels: chaque personnage va laisser entrevoir sa vérité intérieure. On est un peu comme dans le monde de la fête, on a envie de s’échapper et au final, plus on fait la fête, plus on se rend compte que c’est une illusion et que cela ne nous libère pas. Cette fracture, c’est le moment de la désillusion quand on réalise que ce n’est pas la vérité, ce n’est pas la liberté et la vérité en fait est beaucoup plus profonde.
Cela laisse tout un espace à la chimère, aux abysses. Le public va être invité à marcher dans cet espace pour s’approcher de ces apartés émotionnels.
Mahé — Techniquement, c’est assez compliqué pour toi cette deuxième partie, puisque chaque personnage a son propre espace sonore ?
Chloé — Effectivement, il faut trouver un équilibre qui puisse se mélanger sans s’annuler. J’ai travaillé à comprendre leur personnalité: il y a des « mondes » qui vont être plus dans les aigus, d’autres dans les graves, etc.
Cela va beaucoup jouer sur la spatialisation. C’est quelque chose que j’ai appris dans la tradition électro-acous- tique: à travers l’espace, on trouve une place pour les sons, un peu comme dans une forêt où on peut entendre beaucoup d’oiseaux en même temps.
On essaye de choisir des sons qui sont perceptibles et qui finalement tous vont réussir à s’imbriquer. C’est vraiment passionnant, même si cela représente beau- coup de boulot.
